2008 Les Voies Insolites de Notre Dame la Grande
2008 « Les Voies Insolites de Notre-Dame-la-Grande «
Ah quoi penses-tu ? dit le jeune homme à sa compagne qui contemple les piliers fresqués de la nef de Notre Dame la Grande à Poitiers.
Je pense aux Vivants piliers de Baudelaire ! répond la jeune fille
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Ainsi commence un spectacle peu commun dans Notre Dame où ce couple au milieu du public commente, questionne, se chahute, se taquine, se provoque dans la recherche de l’empreinte de l’invisible dans le visible de l’empreinte des origines dans le présent, du ressentir pour comprendre et du comprendre pour ressentir. Partagés, éloignés peut-être séparés entre la part à l’émotion et la part à la raison…
Au même titre que les temples et les mosquées, les églises sont pour moi des lieux dans lesquels chacun pénètre dans le plus secret de son intime à respecter et à protéger. N’y concevant surtout pas la place du théâtre, je n’aurais jamais imaginé y être ce soir de « Première » le metteur en scène, au milieu du public regardant mes comédiens jouer en plus un texte que j’y ai moi même écrit !
Je conviens que je ne déroge pas trop à l’histoire du « théâtre médiéval » sachant que son origine prend source dans ces lieux au X° siècle à l’époque de l’édification de Notre Dame de Poitiers. En même temps que le décor de sa façade, ce théâtre s’inspirait de la lithurgie à l’intérieur des églises, trouvait son origine en parenté avec le spirituel développant le travail de l’esprit, allant jusqu’au questionnement, dans la représentation de ce qui fait la vie des hommes !
« Il y a un moment où deux regards qui se rencontrent se touchent ! » François Diot deux années avant ce soir là n’avait pas eu de mal à m’inscrire dans son projet « Les Voix Insolites de Notre Dame la Grande »
François est Frère Dominicain, à l’issue de ses études théologiques et de dix années passées dans le monde des médias à Paris, il est appelé à Poitiers pour faire de Notre-Dame-la-Grande un “Pôle Culturel-Religieux”. Là, il oriente le projet vers la création artistique, soutient pour cela la fondation de l’association “Les Clefs de Notre-Dame-la-Grande” dont il devient le directeur et produit chaque année plusieurs spectacles. Par ces diverses créations, il donne à des artistes une possibilité d’exprimer ce que Notre-Dame-la-Grande leur inspire, leur transmet, « Les Clefs de Notre-Dame-la-Grande » ont, depuis 2004, créé de multiples événements qui sont autant de rendez-vous pour interpréter cette église d’une façon différente et renouvelée.
Le sujet de ce projet est : Qui sont et qui a animé les hommes à construire cet édifice et à l’entretenir pendant tout un millénaire ? Quel sens profond se dégage derrière son architecture, ses décors, sculptures, statues, peintures et vitraux ?
“… Le visiteur séculaire d’une cathédrale peut et est en droit de la visiter dans l’idée d’être en présence d’une forme d’autotranscendance humaine coulée dans la pierre, qui n’est pas née seulement de motivations religieuses mais également de structures et de préoccupations de pouvoir, comme aussi de craintes et d’aspirations humaines fortes.
Mais un tel visiteur, sécularisé, aurait une sensibilité humaine atrophiée s’il n’était pas capable aussi de respecter la cathédrale comme un témoignage puissant de la vie humaine qui contient une aspiration qui va au-delà de la simple vie au fil des jours. D’autres visiteurs viendront à la cathédrale pour que la dynamique devenue pierre de cet édifice oriente leur pensée vers une réalité ultime, se laissant saisir par l’aspiration à la transcendance qui y est inscrite… (Gerd Theissen)
Ce sont ces visiteurs qui échangent leur façon de voir et engagent une conversation raisonnable à propos de la collégiale qui me donnent la trame dans laquelle voit le jour le synopsis de ma fiction. J’approche ce patrimoine de l’intérieur par le lien de la relation humaine, amicale, par : un touchant duo d’amoureux, un envoûtant couple de musiciens puis, perdu dans cet espace un enfant et la présence évanescente un religieux…
Voilà le contexte et les questions qui m’appellent dans mon inimaginable, inconcevable, à écrire une fiction allégorique purement théâtrale dans ce lieu de culte. (Certainement la première fois et la dernière fois.)
Il nous faut passer par la légèreté, l’humour pour contrer l’austérité, le rigorisme, l’ascétisme du lieu. Pour être visibles, les Écrits fondamentaux doivent se frictionner à la poésie contemporaine. L’envoûtement de la couleur ravivée des fresques doit nous réchauffer de ces murs, voûtes et colonnes de pierre qui doivent en écho projeter l’invisible musical surgi d’on ne sait où !
François Périssat et Jennifer Emerit sont deux jeunes et beaux comédiens importants, de mes précédentes créations. Ils vont m’inspirer l’écriture des personnages qu’ils vont ici interpréter.
Lorsque l’écrit se délie de la tête au papier, un scénario s’ébauche et se déroule tel un film avec les personnages interprêtes désignés et désirés par l’auteur… ce n’est alors pas être trop perspicace ou prémonitoire que d’attribuer à chacun des rôles qui s’approchent très près de leur personnalité ! ou Trop près comme il m’est arrivé, sans le savoir, intuitif probablement, avoir superposé l’inimaginable à la réalité, en faisant revivre sur scène à une personne, le drame d’un épisode de sa vie antérieure !
François ne m’en voudra pas si je vous révèle lui avoir dessiné un personnage sensible, curieux, un peu mystique qui s’avère n’être pas si éloigné de lui !
Le personnage de Jennifer, ne ressent lui, rien d’autre que la beauté du lieu et son architecture il est totalement indifférent aux questions d’ordre religieux. Tout comme son personnage de fiction Jennifer dans cette autre dimension est parachutée dans l’insolite m’avoue t-elle. Enfant, elle n’a jamais pénétré dans ces édifices tant ils l’impressionnaient et lui faisaient peur !
.
Ici, l’Écriture est référente, en religieux qu’il est, Frère François discret omniprésent, comme par hasard est là pour éclairer un propos discret, seulement à l’écoute d’une question, s’amusant même d’être témoin et avocat de l’un ou l’autre de ce couple en questionnement
Augustin l’enfant, est ici et là. Il pointe sa lumière sur l’étoile de la voûte et nous trace de mille bougies qu’il allume un chemin de découvertes.
Christian et Shadi sont deux musiciens pélerins. Les sons de leurs instruments orientaux entrent dissonnants, puis raisonnant comme en conversation dans cette espace surgissant d’on ne sait où.
Tout cela se passe naturellement découvrant cette collégiale en suivant la guide touristique.
On s’arrête sur ce qui interpelle, on s’assied jusque dans les stalles des religieux, prenant le temps de voir écouter et on repart là où une lumière nous conduit, où une sculpture nous attend, où un chapiteau nous domine, un vitrail nous parle.
Pendant les mois de l’hiver froid de 2007, à la fin du jour lorsque les portes se ferment au public. nous commençons nos répétitions. Là étrange sensation que de se déplacer dans cet espace austère et si imposant de sa majesté et de son histoire. Je garde un souvenir très très fort de ces répétitions. La nuit, encapuchonnés dans cette immense collégiale, emmitouflés, nos corps étaient froids mais nos coeurs chauds. Une hyper sensibilité inexprimable, semblait nous tenir et plus le sujet était sérieux, plus nous prenions des bouffées de rires, inexplicables comme le lieu.
Au fil des mois, désormais, le public va venir ces soirs de représentation à Notre-Dame-la-Grande. Ils vont s’attacher à ces deux jeunes couples de visiteurs et de musiciens qui s’attachent aux lieux à travers le regard lumineux d’un enfant et la parole bienveillante du religieux. Les relations entre eux tous ne cessent de se nouer, alors que leurs personnalités restent entières.
Christian Fromentin, compositeur et directeur musical “Pour cette création, je me suis employé à ce que chaque composition respecte et entre en résonance avec le lieu. Pour cela, j’ai fait appel à mes connaissances des musiques sacrées d’Europe et d’Orient que j’ai fait dialoguer entre elles pour composer une musique à l’image de Notre-Dame-la-Grande, comme un pont entre le dedans (écoute intérieure, temps de méditation) et le dehors (écoute des autres, ouverture), le proche (culture occidentale) et le lointain (culture orientale).
Shadi Fathi est née en Iran, musiciennne multi instrumentiste (instruments à cordes pincées, percussions) formée auprès des plus grands maîtres de Téhéran et disciples d’Ostad Darius Talaï, elle interprète avec une grande maîtrise la musique classique persane. Elle vient poursuivre sa carrière artistique en France en 2002, poussée par un désir d’échange avec des artistes d’autres provenances.
Instruments pratiqués pour “Les Voies Insolites de Notre-Dame-la-Grande” : chant, târ (luth à manche long persan), zarb (percussion de la musique savante persane), daf (percussion des musiques kurdes et dervish-s)
Dominique Breillat Doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences Sociales de Poitiers, Président de L’Association « Les Clefs de Notre-Dame-la-Grande. »
Mise en scène Jean Marie Sillard
Ecriture : François Diot, Jean Marie Sillard
Composition et direction musicale Christian Fromentin et Shadi Fathi
Création lumière et plastique Marie-Editj Leyssène
Régie technique et générale Anne Chanut
La jeune fille Jennifer Emerit
Le jeune homme François Périssat
Les musiciens Shadi, Fathi et Christian Fromentin
L’enfant Augustin de Crécy
Le religieux François Diot, dominicain.
Marie-Edith Lessène : “Souligner,révéler, intensifier des détails, s’attarder sur des éléments insoupçonnés de l’église Notre-Dame-la-Grande;, sur ses volumes, ses recoins, ses énigmes. S’appuyer sur l’existant-architectural, artistique. Montrer les choses avec simplicité. L’outil Lumière comme un trait d’union entre espaces, mots, individu.”
fr. François Diot, co-auteur et comédien « Une découverte de Notre-Dame-la-Grande que j’avais d’abord composée comme un monologue est devenue au fil des mois un dialogue et une histoire d’amour. Approcher un patrimoine de l’intérieur des relations humaines, amicales ou amoureuses, me paraît être à la juste mesure de ce que ce patrimoine peut nous offrir. »
Pendant toute cette année, une soirée par mois, avec les acteurs, les musiciens et la plasticienne, nous formons l’équipe théâtrale qui guide le public sur les voies, insolites, de Notre-Dame-la-Grande … Un public venu en spectateurs, en visiteur ou en « pèlerins » : il se déplace à l’intérieur de l’édifice, de ses sculptures, de ses peintures et de notre petite troupe, en se laissant aller dans ces pierres édifiées et entretenues par les hommes. Ces pierres accompagnent le Mystère pour les uns et gardent leurs mystères pour les autres. »
C’est Jennifer qui clôt ce spectacle, scrutant, plus perdue que jamais au milieu de cette immense nef disant à son compagnon :Il est difficile de recevoir ce que l’on ne voit pas et ce que l’on ne connaît pas. Souviens-toi, Olivier Messiaen :
« Les choses visibles et invisibles !
Mais il y a tout dans ces mots !
Les dimensions connues et inconnues : du diamètre possible de l’univers à celui du proton-
les durées connues et inconnues : de l’âge des galaxies à celui de l’onde associée au proton-
le monde spirituel et le monde matériel, la grâce et le péché, les anges et les hommes –
les puissances des lumières et les puissances des ténèbres-
les vibrations de l’atmosphère, le chant lithurgique, le chant des oiseaux
la mélodie des gouttes d’eau et les grognements noirs de la monstrueuse bête de l’Apocalypse –
enfin tout ce qui est clair et palpable et tout ce qui est obscur, mystérieux, surnaturel ,
tout ce qui dépasse la science et le raisonnement,
tout ce que nous pouvons découvrir et ce que nous ne comprendrons jamais… »
Fin
Alors que le public attend le début du spectacle l’insolite s’installe sous le porche du 19.° lorsque celui-ci côtoie avec leurs chiens, assis là, des jeunes et moins jeunes (clodos) de la rue. Deux mondes qui se côtoient et peuvent se repousser jusqu’à l’insolite de la vie, tout comme les couples de comédiens qu’ils vont croiser dans les voies pas moins insolites de Notre Dame la Grande de Poitiers.
Comment pourrais je t’en vouloir mon cher Jean-Marie…c’est bien évidemment une pensée heureuse qui tourne dans ma tête en lisant tes mots et en revoyant ces images!
Le souvenir est fort et toujours vivant de ce passage dans Notre Dame La Grande…
De ces rencontres avec Shadi, Anne, Marie-Edit, François, Christian, Augustin…et puis tous ces spectateurs que nous nous faisions un malin plaisir de balader dans l’église et la leur faire découvrir…
De cette nouvelle aventure à tes côtés ainsi qu’avec Jennifer…
Je me souviens le doute qui était le miens lorsque nous sommes entrés dans la collégiale, non pas pour un quelconque acte de prière ou de recueillement comme j’avais pu le faire lorsque j’étais enfant, mais bel et bien pour faire de ce lieu, bien vivant déjà, un lieu de théâtre et de représentation! Comment allions nous faire pour évoluer dans cette église qui m’intimidait et me faisait impression? Il a fallu apprendre ce grand navire, de la proue à la poupe, rentrer dans son gigantisme, ses couleurs, ses lumières pour ressentir la traversée des siècles, les tempêtes traversées comme toutes les mers les plus belles aux vents porteurs… Et nous avons peu à peu, semaine après semaine, fait connaissance avec elle et je crois même qu’on est devenus un peu copains. Elle nous a porté beau et haut la Grande Dame et le voyage, comme toujours, fut beau au sein de ton équipage!
Bien amicalement,
François
bv59gj
j6rmbz